Article: Rolex 5513 Steve McQueen
Rolex 5513 Steve McQueen
La semaine dernière, Phillips annonçait : “La mise en vente d’une pièce d’importance historique, une Rolex Submariner auparavant inconnue, ayant appartenue et portée par Steve McQueen” Fort bien.
A la lecture de ces lignes, je pense d’abord, comme beaucoup, à une remise en vente de la célèbre 5512 vendue par Antiquorum en 2009 pour 234.000USD. Une bagatelle en comparaison des 17.752.500USD qu’atteignait au marteau la Daytona de Paul. On comprendrait donc facilement la motivation du propriétaire de la Submariner 5512 de McQueen de remettre le bébé en vente à un moment d’excitation où les records les plus fous semblent être possibles.
Seulement voilà, en y regardant de plus près, il s’agit d’une 5513 que McQueen aurait offert à son cascadeur Lauren Janes. En y regardant d’encore plus près, d’autres détails soulèvent de plus en plus de questions quant à la condition et la provenance de cette montre. Deux critères qui lorsqu’on parle montres anciennes et enchères font toute la différence…
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LA PROVENANCE :
Une montre ayant appartenue, ayant été portée et qui a partagé l’intimité d’une légende du cinéma admirée pour son sens inné du style et du cool n’est pas exactement la même chose qu’une montre ayant soit disant été achetée par cette même personne pour faire un cadeau, sans en amener la preuve irréfutable. Je ne minimise en rien le potentiel de cool de Lauren Janes, il n’est simplement pas McQueen. No offense.
La petite histoire prétend que la montre aurait été achetée par McQueen dans les années 60, portée par ce dernier, puis offerte à Loren Janes dans les années 70 avec l’inscription suivante sur le fond de boîte :
“LAUREN,
THE BEST DAMN
STUNTMAN IN
THE WORLD
STEVE”
L’inscription a de la gueule, c’est certain, maintenant est-ce que Steve McQueen n’aurait pas plutôt offert une montre neuve à son ami plutôt qu’une pièce personnelle déjà portée ? Ça semblerait logiquement plus “King of cool”, mais c’est impossible à vérifier sans avoir partagé à un moment donné le quotidien d’un des deux protagonistes. Peut-être, peut-être pas.
L’histoire se base apparemment sur une série de clichés extrêmement connus de Ron Galella prises à Montego Bay en Jamaïque sur le tournage du film Papillon en 1973. On y aperçoit effectivement Steve McQueen buvant son café, Rolex Submariner à son poignet droit. En zoomant sur la photo, il semblerait que la Submariner en question ne possède que deux lignes de texte à six heures, et non quatre, comme sa célèbre 5512. Il s’agirait donc effectivement d’une 5513.
Steve McQueen possédait plusieurs Submariner, tout comme Paul Newman plusieurs Daytona. Le soucis que soulève cette pièce est que pour l’instant, les éléments présentés par la maison de vente sont relatifs à une submariner de Loren Janes, offerte par Steve, mais rien ne prouve de façon irréfutable que cette montre ait un jour été portée par le “King of Cool”. Rien.
Si l’on prend en comparaison la vente record du Daytona de Paul Newman, la provenance était limpide et parfaitement vérifiable, la montre était restée dans la famille, propriété de James Cox, ex-mari de Nell Newman, fille de Paul, depuis que ce dernier s’était vu offrir le célèbre chronographe des mains mêmes de son futur beau-père alors qu’il n’était encore qu’un adolescent.
Information vérifiable auprès de la famille, nombreuses photos à l’appui. Là c’est sérieux. Sérieux et d’autant plus louable lorsque ce dernier décide de se séparer de cet objet dans le but de lever des fonds pour financer la fondation de son ex-femme.
On nous parle ici d’un incendie, d’une montre miraculeusement retrouvée parmi les flammes, restaurée gracieusement par Rolex USA de manière pas vraiment fidèle, nous le verrons plus bas, puis rachetée par un requin de Beverly Hills à un Loren Janes tout juste trois mois avant sa disparition alors que ce dernier était déjà très sévèrement atteint de la maladie d’Alzheimer. Une mise en vente dont les bénéfices ne reviendront donc pas à la famille légitime du (premier ou deuxième) propriétaire de la montre.
Philipps n’apporte donc pour l’instant pas grand chose si ce n’est une photo extrêmement connue de McQueen portant ce qui ressemble à une 5513 et une montre au fond gravé ayant été offerte à Loren Janes.
Rien ne prouve qu’il s’agisse de la même montre, surtout lorsqu’on y ajoute un incendie qui détruit tous les souvenirs du cascadeur, une maladie d’Alzheimer et une montre complètement restaurée…
La restauration justement, parlons-en…
LA CONDITION :
C’est là que ça devient vraiment confus, car la restauration effectuée par Rolex USA est loin de correspondre à ce à quoi devrait ressembler la montre de la chronologie présentée, ni celle des photos de campagne marketing de la maison d’enchères.
Le Cadran :
Tout d’abord le cadran, élément primordial de l’estimation de la valeur d’une montre comme vous le savez, n’est plus le cadran d’origine d’une 5513, qui pour une Submariner achetée dans les années 60 avec un numéro de série en 1.1 million a dû naître avec un cadran “gilt”, deux lignes et même certainement ce que les collectionneurs appellent une couronne “Bart Simpson” due à sa forme allongée.
Au lieu de ça, le cadran de remplacement est certes très beau, mais est un cadran mat de 5512, écritures blanches et 4 lignes dont deux d’entre elles mentionnent une certification chronométrique à laquelle le calibre d’une 5513 n’a simplement pas été soumis. Pas vraiment conforme donc.
Le Bracelet :
Ici encore, ça ne colle pas. La montre est présentée montée sur un bracelet oyster 93150 à maillons pleins. Please.
Pour une montre qui aurait été achetée, comme prétend l’histoire, par McQueen en 1964, son bracelet d’origine devrait être riveté. Admettons, mais c’est peu probable, qu’il ait acheté l’un des tout premiers bracelets 9315 aux maillons pliés sortis aux alentours de 1967, passe encore. Mais un bracelet blindé avec fermoir Fliplock qui n’est apparu qu’en 1975, ça ne colle pas. Ça ne colle ni avec une boîte de 5513 achetée plus de 10 ans auparavant, et surtout pas avec une photo de référence qui date de 1973.
Un bracelet s’abîme, un bracelet se change, évidemment, un bracelet peut même être pris au piège des flammes, c’est possible. Mais apportez nous en la preuve et l’histoire complète, s’il vous plaît ! Et si vous changez le bracelet, mettez le bon ! Ça ne doit pourtant pas être si compliqué lorsqu’on s’appelle Philipps.
Il ne s’agit pas ici d’une montre chinée sur le bon coin à un particulier mais bien d’une pièce présentée par l’une des plus importantes maison d’enchère en la matière aujourd’hui. Nous sommes donc en droit d’attendre davantage de transparence et d’explications quant à ces conditions qui soulèvent bien des interrogations. Non ?
ATTENTION AUX TENTATIONS…
Encore une fois, je pose certaines questions, Philipps y apportera peut-être toutes les réponses lors de la vente et je le souhaite sincèrement. Le fameux CD de la restauration effectuée par Rolex mentionné dans le courrier de Rolex USA à la famille de Loren Janes contient peut-être des photos de la montre avant restauration. Peut-être.
En attendant, leur façon de présenter les choses me paraît tout de même prêter à confusion et induire une association à McQueen bien supérieure à ce qu’elle a été, sans en apporter la moindre preuve vraiment définitive.
Pas la manière la plus subtile de redorer le blason d’un marché du vintage qui connaît déjà bien des dérives. Soyons sérieux, nous parlons ici probablement de gros sous, de vrais dollars qu’un acheteur averti ou non va verser pour acquérir cette pièce ; il serait bien dommage qu’il ne fasse l’acquisition que d’un fond de boîte gravé qui ai un jour appartenu à Lauren Janes…
Avis aux pronostiques, résultats le 25 octobre prochain à New York. On a le temps de reprendre un petit café…